Vivre une vie extrême No 32 - Journaux intimes de Monsieur Yamano

Mardi 25 septembre 2001
Je viens de survivre à un autre pont de trois jours chômés. On a une douzaine de week-ends longs par an quand un jour férié tombe sur un lundi. La fin et le début de l’année, la première semaine du mois de mai, «urabon» en août, autant de jours chômés. Pendant ces vacances, les détenus hurlent partout dans les cellules par stress et frustration. Je les comprends.

Vendredi 28 septembre 2001
Maria m’a rendu visite vers 10 heures. Je suis désolé de la contrarier avec mes propres affaires. Aujourd’hui, comme tous les ans, elle allait prier au temple Shintenno-ji pour les âmes des deux hommes morts par ma faute et de leurs ancêtres.
J’ai prié seul pour eux.

On m’a annoncé aujourd’hui: «l’administration a décidé de ne plus mettre à la disposition des condamnés à mort en attente de leur exécution de rasoirs en forme de T lors de leurs toilettes. Elle leur interdit désormais d’utiliser leurs rasoirs électriques personnels. Elle leur prêtera à leur demande des rasoirs électriques pendant la journée, à l'exception des jours chômés.»

Il y a trois ans qu’un condamné à mort s’est suicidé avec un rasoir dans la salle de bains, à la maison de détention de Sapporo. Pourquoi trois ans après l’événement? Aucun cas de suicide dans la maison d’Osaka. Deux gardiens surveillent les condamnés à mort pendant qu’ils prennent leurs bains. Aucun danger dans le fait que j’ai à ma disposition mon rasoir électrique personnel. Interdire à tous les condamnés à mort de se raser avec un rasoir, parce qu’un condamné à mort s’est suicidé dans une autre maison de détention, je trouve cela inacceptable. Autant de mesures au nom de la sécurité, qui finiront par «troubler l’âme des condamnés à mort.»

Vendredi 5 octobre 2001
Projection de vidéocassette dès huit heures du matin. Des spectacles télévisés que j’avais demandés à l’administration d’enregistrer. Enfermé que je suis, les spectacles sur le tourisme ou les arts culinaires me mettent au courant de ce qui se passe dans la vie. Les inventaires de la vidéothèque, des films d’action pour la plupart, me sont moins utiles.

Samedi 6 octobre 2001
Une fête de sport organisée par la maison pour les détenus. Nous, les condamnés à mort, ne sommes pas autorisés à y participer. Le déjeuner fut constitué d'un panier de repas préparé par un restaurateur extérieur, le tout arrosé d'une bouteille de thé. Un panier de repas qui n’a rien de particulier pour vous qui vivez dans le monde, mais pour nous, une surprise et une bonne chère.

Des boules de riz cuit et moulées par machine, et des légumes cuites à la sauce de soja. Elles sont de loin meilleures que les repas préparés par les cuisiniers de la maison. On nous distribue le même goûter que pour les autres détenus. Du café en boîte, une clémentine, un sac de gâteaux, etc. Les détenus seraient contents, puisque l’on ne vend pas de gateaux dans la maison.

Mercredi 10 octobre 2001
En République de Corée et à Taiwan, on abolirait la peine de mort, au plus tôt, avant la fin de l’année. Les deux États ont arrêté toute exécution depuis 4 ans. Dans le cas où ils décideraient d’abolir la peine de mort, le mouvement abolitionniste se développerait davantage en Asie, y compris aux Philippines. Au Japon où l’on se veut un Etat pacifiste et attentif aux droits de l’homme et leader des pays de la région, on perdra la face. Le Conseil de l’Europe a réclamé au Japon de prendre des mesures pour l’abolition de la peine de mort avant le 1er janvier 2003, au risque de perdre son statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe. Quelles seraient les réactions de la part du gouvernement japonais et du Ministre de la Justice?

Lundi 10 octobre 2001
Je déplore les victimes de la destruction de World Trade Center à Manhattan, aux États-Unis. Et les victimes des attaques armées, américaines et autres, sur le sol afghan. Et les trente milles personnes qui se sont suicidées chaque année au Japon.

Un nouvel agent de nettoyage que l’on vient d’affecter à ma cellule en août est quadragénaire. Lui aussi est un détenu. Comme il avait tendance à négliger les détails dans sa tâche, je l’ai réprimandé. Il m’a écouté attentivement et son travail s’est amélioré.

Monsieur R, un membre du groupe de soutien m’a écrit ceci :

J’ai examiné les documents concernant le cas de M. Yamano. Il se peut qu’il ait reçu un verdict d’acquittement dans un tribunal européen ou américain. À cause du système japonais d’investigation et de procédures pénales il a été victime d’une fausse accusation. Il est vrai que dans les accidents il a tué deux hommes. Bien qu'il ait voulu se défendre, il se sent responsable et se repent. Il a abondamment payé pour cela par ses 20 ans d’incarcération. Monsieur Yamano n’est pas un condamné à mort. Il est la victime d'un systeme. Son livre devrait s’intituler «Prières d’un condamné à tort», au lieu d’«un condamné à mort».

Page d'acceuil | Lien au site en japonais | Contacter l'auteur du site